Le corpus Souvenirs d’un autre été comprends deux séries, la Maison de Claudine et Holey Day.
J’y interroge la notion psychanalytique de «souvenir-écran», souvenir qui s’interpose entre la conscience et le souvenir d’une scène. Même si l’image photographique donne l’impression de se réaliser effectivement, il existe une différence entre le souvenir imagé et le souvenir mental. Le photographe est un activateur du moment présent mais ses images réfèrent à un passé et à un avenir qui se tiennent dans la présent.
Je questionne ainsi l’essence même de la photographie dans sa relation à la mort. Non seulement, il faut faire le deuil de ce que la photographie montre, mais aussi de ce qu’elle ne montre pas. C’est une des raisons pour lesquelles l’écriture revêt dans mon travail une importance particulière. Elle me permet d’envisager de manière vivante une mémoire en train de se reconstruire.
Souvenirs d’un autre été est une incursion sensible et conceptuelle dans mes souvenirs intimes liés au territoire d’adoption de ma famille paternelle, la Gironde. J’y questionne aussi de manière sous-jacente, à l’instar de Traumland, la notion d’enracinement.
LA MAISON DE CLAUDINE
La maison de Claudine apparaît pour moi comme un point d’ancrage physique avec le territoire. C’est également le lieu symbolique de l’enfance. J’y ai passé toutes mes vacances pendant plusieurs années auprès de ma grande-tante, que je nomme ainsi, en référence au livre de Colette, qu’elle admire tant.
Je m’immerge ainsi pendant plusieurs été dans cette maison de Claudine, en présence de mes propres enfants et de la maîtresse du lieu, pour convoquer le mémoire topologique du lieu de l’enfance. En me plongeant dans un passé évanescent sur le point de disparaître, je questionne à travers l’écriture et la photographie, le passage de l’enfance à l’âge adulte et les bouleversements sous-jacents. Cette maison vieillit. L’odeur des chats est venue supplanter celle des pins mais ma grande-tante est toujours là, fidèle à ses rituels, à ses goûts pour les plantes, la littérature et les chats.
Dans cette recherche, j’active la mémoire familiale en mêlant mes propres souvenirs, à des souvenirs reconstruits sur la base d’archives familiales et des nouveaux souvenirs que je suis en train d’activer sur des lieux symboliques avec mes propres enfants.
Je brouille volontairement les pistes entre les photographies d’archives et mes propres photographies. Je me suis pour cela imprégnée des albums photographiques d’archive de cette maison, cherchant à en reproduire l’esthétique, en variant les appareils et les formats. J’ai finalement scanné, photographié et reproduit ces photographies les plaçant au même niveau que mes propres images, ainsi que mes textes dans l’espace d’exposition.
Je m’immerge ainsi pendant plusieurs été dans cette maison de Claudine, en présence de mes propres enfants et de la maîtresse du lieu, pour convoquer le mémoire topologique du lieu de l’enfance. En me plongeant dans un passé évanescent sur le point de disparaître, je questionne à travers l’écriture et la photographie, le passage de l’enfance à l’âge adulte et les bouleversements sous-jacents. Cette maison vieillit. L’odeur des chats est venue supplanter celle des pins mais ma grande-tante est toujours là, fidèle à ses rituels, à ses goûts pour les plantes, la littérature et les chats.
Dans cette recherche, j’active la mémoire familiale en mêlant mes propres souvenirs, à des souvenirs reconstruits sur la base d’archives familiales et des nouveaux souvenirs que je suis en train d’activer sur des lieux symboliques avec mes propres enfants.
Je brouille volontairement les pistes entre les photographies d’archives et mes propres photographies. Je me suis pour cela imprégnée des albums photographiques d’archive de cette maison, cherchant à en reproduire l’esthétique, en variant les appareils et les formats. J’ai finalement scanné, photographié et reproduit ces photographies les plaçant au même niveau que mes propres images, ainsi que mes textes dans l’espace d’exposition.
"8 août 2016
Inspection des lieux. Avant de pouvoir vaquer à mes occupations, j’ai besoin de m’imprégner de cette maison et de son jardin. Je photographie la végétation sauvage, les entrées de lumière par une fenêtre, entre deux pins, à travers des buissons.
J’observe la lumière qui se reflète dans la piscine, puis change de direction en traversant les multiples portes vitrées pour se réfléchir dans les miroirs pliants, déformants, omniprésents de cette maison et terminer sa course dans mon appareil photo.
J’observe les chats, qui sont devenus les maîtres absolus du royaume de mon enfance. Ils se reposent de leur nuit de chasse et d’errance. Un chat dort tranquillement sur la chaise bébé, dont le rotin est usé et dont l’assise a été remplacée par un dessous-de-plat carré et rigide blanc, en céramique et bois. Un chat m’observe à son tour depuis la table ronde du fond du jardin. Je m’approche doucement pour le photographier. Il me fixe, prêt à déguerpir si besoin. C’est un nouveau, Pimpim, fils de voyelle, le chouchou du moment. Il n’est pas sauvage mais il ne me connaît pas encore. Je retrouve aussi mon compagnon Jules, le robot qui nettoie la piscine. Le conjoint de ma sœur s’appelle également Jules Je remarque quelques dérèglements. Son jet sort de manière imprévue d’un bout à l’autre de la piscine. Il arrose les portes vitrées, le long miroir ovale. Il risque bientôt de m’arroser moi, mon ordinateur et mon appareil photo, si je ne reste pas sur mes gardes.
Mes sens sont à l’affût, en éveil. Je sens ce petit vent, qui vient de temps de temps caresser mon visage, mes jambes, mes oreilles pour s’éteindre aussi rapidement. Le soleil perce aussi de manière imprévue. Je le suis ainsi que toutes les ombres végétales qu’il fait danser devant moi. Et puis, cette odeur, celle des pins, qui se mêle depuis quelques années à celle des chats. L’odeur des chats m’entête, me prend le nez. J’éternue. Mon nez coule.
A l’arrivée dans les lieux de mon enfance, j’ai déjà un parcours bien défini. Je commence par les abords de la piscine. Les herbes folles ont été tondues par un nouveau jardinier. Il ne reste que quelques fougères. Elles sont grillées par le soleil. Le sol est sec et rugueux. Je retrouve les parasols rayés bleus et blancs couchés, hors d’état de nuire. Les tables rondes sont rouillées par le temps. Deux pots de fleurs majestueux, d’un ton vert jade, encadrent la piscine. Ils étaient dans mon enfance toujours fleuris. Je crois que c’étaient des géraniums roses et blancs.
Et puis, je longe la piscine. Je retrouve le tuyau vert presque à l’abandon. Il me fait penser à un serpent qui se faufile comme moi dans les méandres de la maison. Il servait à nous arroser par temps de grandes chaleurs, à arroser les fleurs mais surtout à remplir la piscine. Jules vient de me sortir de ma rêverie. J’entends maintenant distinctement le chant des cigales. J’avance et je retrouve la table longue en plastique, les vieilles chaises rouillées. Et puis, un grand plateau en bois vert foncé rempli d’un mélange de croquettes et de restes des repas, qui s’y accumulent, pourrissent ou sont dévorés par les bêtes. Si ce ne sont pas les chats, ce sont les oiseaux ou les hérissons. »
J’observe la lumière qui se reflète dans la piscine, puis change de direction en traversant les multiples portes vitrées pour se réfléchir dans les miroirs pliants, déformants, omniprésents de cette maison et terminer sa course dans mon appareil photo.
J’observe les chats, qui sont devenus les maîtres absolus du royaume de mon enfance. Ils se reposent de leur nuit de chasse et d’errance. Un chat dort tranquillement sur la chaise bébé, dont le rotin est usé et dont l’assise a été remplacée par un dessous-de-plat carré et rigide blanc, en céramique et bois. Un chat m’observe à son tour depuis la table ronde du fond du jardin. Je m’approche doucement pour le photographier. Il me fixe, prêt à déguerpir si besoin. C’est un nouveau, Pimpim, fils de voyelle, le chouchou du moment. Il n’est pas sauvage mais il ne me connaît pas encore. Je retrouve aussi mon compagnon Jules, le robot qui nettoie la piscine. Le conjoint de ma sœur s’appelle également Jules Je remarque quelques dérèglements. Son jet sort de manière imprévue d’un bout à l’autre de la piscine. Il arrose les portes vitrées, le long miroir ovale. Il risque bientôt de m’arroser moi, mon ordinateur et mon appareil photo, si je ne reste pas sur mes gardes.
Mes sens sont à l’affût, en éveil. Je sens ce petit vent, qui vient de temps de temps caresser mon visage, mes jambes, mes oreilles pour s’éteindre aussi rapidement. Le soleil perce aussi de manière imprévue. Je le suis ainsi que toutes les ombres végétales qu’il fait danser devant moi. Et puis, cette odeur, celle des pins, qui se mêle depuis quelques années à celle des chats. L’odeur des chats m’entête, me prend le nez. J’éternue. Mon nez coule.
A l’arrivée dans les lieux de mon enfance, j’ai déjà un parcours bien défini. Je commence par les abords de la piscine. Les herbes folles ont été tondues par un nouveau jardinier. Il ne reste que quelques fougères. Elles sont grillées par le soleil. Le sol est sec et rugueux. Je retrouve les parasols rayés bleus et blancs couchés, hors d’état de nuire. Les tables rondes sont rouillées par le temps. Deux pots de fleurs majestueux, d’un ton vert jade, encadrent la piscine. Ils étaient dans mon enfance toujours fleuris. Je crois que c’étaient des géraniums roses et blancs.
Et puis, je longe la piscine. Je retrouve le tuyau vert presque à l’abandon. Il me fait penser à un serpent qui se faufile comme moi dans les méandres de la maison. Il servait à nous arroser par temps de grandes chaleurs, à arroser les fleurs mais surtout à remplir la piscine. Jules vient de me sortir de ma rêverie. J’entends maintenant distinctement le chant des cigales. J’avance et je retrouve la table longue en plastique, les vieilles chaises rouillées. Et puis, un grand plateau en bois vert foncé rempli d’un mélange de croquettes et de restes des repas, qui s’y accumulent, pourrissent ou sont dévorés par les bêtes. Si ce ne sont pas les chats, ce sont les oiseaux ou les hérissons. »
Vues d’exposition
La maison de l’Argentière, 2018
Shoot Festival de photographie d’auteur, à Chamonix
La série a été produite et exposée à Chamonix par l’association Image Temps dans le cadre de Shoot Festival du 6 au 28 octobre 2018.
Elle se compose de 6 tirages encadrés
(cadre bois) format 70-100, de 3 tirages 30-40 également encadrés, de compositions de petits tirages (format 13-18 et 20-30) présentés sous des passe-partout et de
textes écrits à la main.
La maison de l’Argentière, 2018
Shoot Festival de photographie d’auteur, à Chamonix
La série a été produite et exposée à Chamonix par l’association Image Temps dans le cadre de Shoot Festival du 6 au 28 octobre 2018.
Elle se compose de 6 tirages encadrés
(cadre bois) format 70-100, de 3 tirages 30-40 également encadrés, de compositions de petits tirages (format 13-18 et 20-30) présentés sous des passe-partout et de
textes écrits à la main.
HOLEYDAY
Je me suis replongée dans les albums d’archive de la maison de Claudine à l’occasion d’une publication collective sur la thématique de la «magie du quotidien».
J’y ai vu alors des générations, qui se succédaient
depuis l’arrivée de mes arrière-grand-parents paternels en France dans une unité de lieu, témoignant ainsi d’un début d’enracinement sur ce territoire. Ces personnes photographiées ont pour la plupart disparu, tout comme mes propres souvenirs.
Dans une action performative, j’ai voulu contourner l’écran du souvenir en perçant « hole » les photographies, pour mettre en lumière «holy» ces êtres chers disparus, ces moments magiques d’un quotidien révolu.
Par ce rituel, j’ai cherché à convoquer la force symbolique des images dans leur rapport à la mort, à faire revivre ces vacances « Holyday », en les faisant traverser par la lumière.
La série Holey Day est donc aussi bien une exploration personnelle de la perte, du deuil et de l’attachement à
des lieux, qu’une réflexion sur la mémoire en perpétuelle reconstruction.
Ces deux images ont été présentées dans le numéro 1 de la revue «Dadux, tout est son contraire». Le lecteur a la possibilité d’animer ces images au travers d’une application de réalité augmentée.
J’y ai vu alors des générations, qui se succédaient
depuis l’arrivée de mes arrière-grand-parents paternels en France dans une unité de lieu, témoignant ainsi d’un début d’enracinement sur ce territoire. Ces personnes photographiées ont pour la plupart disparu, tout comme mes propres souvenirs.
Dans une action performative, j’ai voulu contourner l’écran du souvenir en perçant « hole » les photographies, pour mettre en lumière «holy» ces êtres chers disparus, ces moments magiques d’un quotidien révolu.
Par ce rituel, j’ai cherché à convoquer la force symbolique des images dans leur rapport à la mort, à faire revivre ces vacances « Holyday », en les faisant traverser par la lumière.
La série Holey Day est donc aussi bien une exploration personnelle de la perte, du deuil et de l’attachement à
des lieux, qu’une réflexion sur la mémoire en perpétuelle reconstruction.
Ces deux images ont été présentées dans le numéro 1 de la revue «Dadux, tout est son contraire». Le lecteur a la possibilité d’animer ces images au travers d’une application de réalité augmentée.