Comment se représenter, comment imaginer, comment révéler, comment valoriser son histoire par son parcours migratoire ou celui de sa famille? Chloé Colin, émigrée de troisième génération, ne pose pas directement son regard sur les personnes qui viennent d’arriver en France mais sur leurs enfants et petit enfants. Comment vivent-ils la relation entre un pays quitté pour différentes raisons par leurs aïeux, qu’ils n’ont souvent jamais vu et un pays où ils ont grandi? Tout en questionnant sa propre histoire, Chloé Colin interroge dans « Entre-deux Rives » la question de la « double absence », l’entre-deux territoires ou le sentiment de n’appartenir vraiment à aucun lieu.
Valises ouvertes
Traumland 2017
«Traumland» est le premier corpus de «Valises ouvertes» sur la transmission de la mémoire familiale dans l’exil, qu’elle développe depuis 2013 aussi bien auprès de sa propre famille, qu’auprès de personnes ayant connu directement ou indirectement l’exil. En 2015-2016, elle interroge notamment, avec le soutien d’une sociologue, la place de l’imaginaire dans la mémoire et la transmission de l’exil à partir d’une enquête conduite à Villeurbanne auprès de familles juives arrivées dans le quartier des Gratte-Ciel au cours du 20ème siècle. En parallèle, elle entreprend des échanges filmés, écrits et enregistrés avec sa grand-mère et d’autres membres proches de sa famille autour de la question des origines. Cette enquête a donné lieu, à la réalisation d’une part d’un film documentaire sur les familles de Villeurbanne « Sur les fleuves des Gratte-Ciel », et d’autre part à la création d’une oeuvre plastique « Traumland » présentée au Rize à Villeurbanne en novembre 2016 dans le cadre d’une table ronde «Exil vécu, exil remémoré, exil imaginé». Ce travail évolutif et fragmentaire se reconstruit constamment à l’image de la mémoire et s’enrichit au fur et à mesure des expositions (galerie lyonnaise la Mare en 2017, médiathèque de Chamonix en octobre 2019, musée éphémère de Belley en avril 2021).
Chloé Colin cherche à confronter le « Traum », rêve en allemand, et le «Trauma » dans un processus qui renvoie à la méthode de l’association libre dans le traitement analytique et aux propositions visuelles du courant surréaliste. En utilisant le procédé du photomontage, elle brouille ainsi les codes entre le documentaire et la fiction, les photographies de famille et les paysages idéalisés de la carte postale. Les membres de sa famille apparaissent comme des personnages flottants entre territoires symboliques et imaginés. Ils prennent une place particulière dédiée à chacun dans une histoire complexe, entrecroisement de cultures d’exil et de terroir. Une autre temporalité se fait sentir avec l’émergence de gestes immémoriaux transmis à travers de belles histoires, qui ne voilent pas tout à fait la dimension traumatique du récit. Elle présente ce travail au Rize à Villeurbanne en 2016. En 2017, lors d’une exposition à la galerie la Mare à Lyon, Chloé Colin fait dialoguer ces photomontages avec des échanges épistolaires avec les membres de sa famille, qu’elle remodèle pour fabriquer un texte plus universel questionnant le rapport aux origines «Origines». Elle remplit laborieusement de son écriture un mur complet de la galerie lyonnaise. Le visiteur se trouve alors confronté à un texte qu’il ne peut lire de manière linéaire. Des mots et des bouts de phrases viennent résonner dans sa propre réflexion sur le sujet. «Origines» est également présenté en 2019 à la médiathèque de Chamonix sur un grand rouleau de papier, qui se déplie dans l’espace d’exposition en référence aux origines juives de l’artiste. Dans la composition sonore «Généalogie», Chloé Colin enregistre les membres de sa famille en train de lire leurs lettres. Elle tente alors de reconstituer son histoire familiale avec leurs voix. Elle reconstruit une sorte de mythologie familiale faite de doutes, de vides, de répétitions, d’approximations et de transformations, interrogeant la place de la fiction dans la mémoire.
Les mariés du Néguev
Traumland
Traumland
Les joueurs de tennis
Généalogie
Sur les fleuves des Gratte-Ciel 2017
« Sur les fleuves de Babel nous étions assis et pleurions aussi en nous souvenant de Sion « . Ce psaume de la Genèse, qui renvoie à l’épisode de la Tour de Babel, nom hébreux de Babylone, archétype de la ville de l’Exil, questionne la place de l’homme, entre ciel et terre, sa relation aux langues et aux origines. Le quartier utopique des Gratte-Ciel à Villeurbanne a justement accueilli des populations étrangères à différents moments de l’Histoire, et tout particulièrement d’origine juive. Quatre personnages, dont les familles sont arrivées dans ce quartier à l’effondrement de l’Empire Austro-Hongrois, pour Dominique, de l’Empire Ottoman, pour Eliane, de la Seconde Guerre Mondiale pour Francine et de la Guerre d’Algérie pour Edmons nous font découvrir ce territoire à travers leur ressenti des lieux et la relation qu’ils entretiennent avec leur propre histoire. Les protagonistes du film n’ont pas vraiment connu l’exil mais ils ont indéniablement hérité du sentiment de l’ailleurs, de la disparition et de la différence. Questionnant leur relation à la langue, à l’exil et à la religion, ils réalisent des parcours symboliques dans ce quartier. Le film dresse alors une sorte de carte subjective du territoire mêlant des mots et des parcours, l’histoire et la géographie, le réel et le ressenti.